La théorie des voix est directement issue de l’approche noémique.
Cette théorie marque une évolution majeure par rapport à la Linguistique Générale. Elle est exposée en détail dans TAL chapitre XI, mais elle est brillamment éclairée par les pages du chapitre VIII de Sémantique Générale consacrées aux aires événementielles.
Ce qui y était présenté jusqu’ici comme voix devient la diathèse qui désigne l’orientation de la relation prédicative et qui peut être attributive, moyenne ou active.
La théorie des voix précise de manière fondamentale la diathèse.
Ainsi, B. Pottier distingue en français cinq voix, l’existentiel, l’équatif, le situatif, le descriptif, et le subjectif, ces cinq voix pouvant connaître trois variantes nommées « statut » : le statif, l’évolutif et le causatif.
Nous donnons ci-après, pour la clarté de l’exposé, les quinze modèles de voix qui résultent de la combinaison des voix et des statuts.
Ces quinze modèles sont censés caractériser la totalité des configurations d’énoncé produite en français.
Statut Voix |
Statif |
Évolutif |
Causatif |
EXI |
il y a une difficulté |
il apparaît une difficulté |
C provoque des difficultés |
EQU |
A est président |
A devient président |
C nomme A président |
SIT |
A est en prison |
A entre en prison |
C met A en prison, |
DES (2) (3) |
A dort A a de l’argent |
A s’endort A gagne de l’argent |
C endort A C procure de l’argent à A |
SUB |
A sait l’anglais |
A apprend l’anglais |
C enseigne l’anglais à A |
Il faut souligner l’avancée que constitue cette théorie des voix par rapport à l’analyse purement syntaxique.
Une séquence formalisée au plan syntaxique de la façon suivante : SN + SV + SN peut représenter tout aussi bien l’énoncé : « le chat regarde la souris »(1) que « le chat est un animal » (2) ou « le chat mange la souris » (3). Or (1) a pour voix un subjectif à statut statif. (2) est un équatif statif et (3) un descriptif causatif.
Autrement dit, la théorie des voix permet de distinguer des énoncés identiques au plan formel, mais sémantiquement totalement différents.
Chaque voix recouvre des domaines sémantiques précis.
L’existentiel (EXI) qui permet de présenter une entité, peut obéir à une vue prospective (« soit », « voici »), une vue coïncidente (« il y a », « il fait beau »), ou une vue rétrospective (« voilà », « c’est », « ça fait »). Inutile de préciser que ces trois vues correspondent à la fois à des noèmes, et à des sèmes génériques. Cette remarque est de nature à compléter ou à préciser la classification présentée dans TAL p. 95.
Le situatif (SIT) couvre les domaines sémantiques de repérage spatial, temporel et notionnel. Ces domaines sont également des noèmes et des sèmes génériques. Chacun est lui-même justiciable d’une décomposition plus fine. Par exemple, le domaine du repérage spatial peut recouvrir les notions suivantes :
- mouvement/position
- approche/éloignement
- nature du repère (orienté ou non, intériorité ou non)
- orientation (verticale, horizontale)
- distance du repère
Cette analyse peut être poursuivie pour chaque domaine sémantique.
L’équatif (EQU) exprime une relation d’équivalence avec une entité de même nature. L’équivalence peut être plus ou moins affirmée et correspondre à trois niveaux d’intensité : l’identité (« Paris est la capitale de la France »), la similitude (« Paris est une ville de plaine ») et l’évocation (« Paris est une sirène ») (TAL p. 140). La similitude peut correspondre à la notion d’appartenance à une catégorie (« le chat est un félin », « l’association est une personne morale »). Équivalence, identité, similitude, évocation sont évidemment des noèmes et des sèmes génériques. Cette décomposition vient enrichir la liste déjà longue des relations s’inscrivant dans la grande classe noémique « Hiérarchies » (TAL p. 95 et s.).
Le descriptif (DES) permet d’attribuer à une base toute caractéristique :
Pierre est gentil
Pierre court
Pierre se lève
Pierre a de la chance
Le descriptif connaît trois variantes : avec l’auxiliaire être ou tout verbe assimilé (DES1), avec un verbe intransitif (DES2), avec le verbe avoir et tout verbe assimilé (DES3)
Les descriptifs DES1 et DES2 couvrent de nombreux domaines sémantiques dont B. Pottier donne une liste :
Le descriptif DES3 couvre des domaines sémantiques qui se répartissent sur un axe continu allant de l’inaliénable (parties du corps, sensations, parenté...) (« Pierre a un nez ») à l’aliénable (possession externe) (« Pierre a une voiture »).
Le subjectif évoque les activités de la base, sans que la nature du prédicat soit affectée.
Les domaines sémantiques sont ceux de l’intention (pouvoir, devoir, vouloir), la perception (voir, entendre, sentir), la cognition (croire, savoir, connaître).
S’agissant des statuts, ceux-ci sont justiciables d’une analyse plus fine que la distinction en trois types de base : statif, évolutif, et causatif. L’évolutif peut être inchoatif, continuatif ou terminatif, classification voisine de la distinction entre vue prospective, coïncidente et rétrospective. Cette distinction se projette sur le causatif. D’où la possibilité de sept variantes de statuts, ce qui porte à 35 le nombre de modèles de voix disponibles.
De même que pour les syntagmes, on observe des transferts de voix.
Pour une relation donnée, plusieurs voix sont généralement possibles. Pour un même schème d’entendement, en fonction du choix qui est fait au niveau du schème prédiqué, c’est-à-dire le choix qui est fait de l’élément qui sera pris pour base et du reste qui constituera le prédicat, on pourra obtenir par exemple un existentiel (« il existe un malaise ») ou un descriptif (« un malaise existe ».
En fait, pour chaque relation, il existe une voix primaire et une voix ou plusieurs voix secondaires dérivées par modification de la vision sur le module.
Ainsi, « le service public de l’éducation est conçu en fonction des élèves » est une voix descriptive de type 1, obtenue par dérivation d’un existentiel qui pourrait être « on conçoit le service public en fonction... », formulation peu élégante et, de surcroît, qui ne met pas en valeur l’élément sur lequel on veut insister qui est le service public. On aura l’occasion de vérifier statistiquement la propension des textes juridiques à recourir à la forme passive de préférence à une forme active impersonnelle. Il convient de relever que le changement de vision n’implique pas toujours un changement de voix : on aura « Pierre a blessé Paul » (DES2 CAU), et « Paul a été blessé par Pierre » (DES2 CAU), mais aussi, avec changement de voix, « il arrive un train » (EXI2), et « un train arrive » (SIT).
Chaque voix possède un ou plusieurs modules types.
Par exemple, le module type de l’existentiel est : Æ W SN (« il était une fois une princesse », « il arrive un train », mais on peut avoir SN V acc SN (« Pierre pose un problème ») ou SN V final SN « le service public de l’éducation contribue à l’égalité des chances »). Le module type du descriptif DES1 est SN W SA (« la montagne est belle »).
Pour chaque voix, il existe ainsi un petit nombre de modules disponibles propres à chaque type de relation.
Il est important de souligner que toute l’analyse des voix par B. Pottier est fondée implicitement sur des noèmes ou des sèmes génériques. Les voix elles-mêmes, avec leurs sous-catégories correspondent à des domaines sémantiques distincts, de même que les statuts correspondent à des sèmes génériques que nous pouvons directement utiliser dans la construction des sémèmes et des taxinomies qui en résultent. Ainsi, le causatif première forme (CAU1) de l’existentiel peut s’exprimer au travers des lexèmes suivants : créer, provoquer, causer, soulever, construire, dessiner, imaginer, concevoir, organiser, contribuer à, aider à, permettre, favoriser qlqch. Tous ces lexèmes ont dans leur classème les sèmes génériques, « existentiel », « causatif », « prospectif ». Ils doivent être distingués les uns des autres par des sèmes spécifiques. Parmi les sèmes génériques, il convient d’ajouter la catégorie syntaxique : « achat » ne peut avoir tout à fait le même sémème qu’« acheter ». Il est vrai que le sémème se définit en principe au niveau du morphème et que dans le présent exemple « acheter » est la concaténation de deux morphèmes, la racine et le suffixe et que le sémème 'acheter' résulte de la combinaison des deux sémèmes de base.
La théorie des voix permet à B. Pottier de prolonger en leur donnant une pleine cohérence les tentatives de Tesnière (1959), puis de Fillmore (1968).
Sans entrer dans des commentaires d’analyses aujourd’hui dépassées, on peut se référer aux commentaires de G. Sabah (1990, chapitre III « Grammaires de cas »), et plus précisément aux exemples qui le préoccupent, syntaxiquement identiques, mais qu’une bonne théorie sémantique doit permettre de différencier.
Première série d’exemples :
Voix/statut domaine sémantique
Jean aime les spaghettis SUB/STA sens
Jean mange une glace DES2(CAU) relation externe
Jean attrape un rhume DES3(EVO1) inaliénable (possession interne)
Seconde série d’exemples
Jean casse la branche avec une pierre DES2(CAU) relation externe
La pierre casse la branche DES2(CAU) relation externe
La branche casse DES2(EVO2) relation interne
On constate que les deux premiers cas ne sont pas distingués et que la forme du verbe reste la même dans les trois cas. B. Pottier note (TAL p. 144) que certains verbes, comme casser ou les verbes de coloration (jaunir) conservent la même forme comme évolutifs et comme causatifs (« le papier jaunit / Pierre jaunit le papier », « le verre casse ou se casse/Pierre casse le verre »). Il y voit une polysémie modulaire et considère ces verbes comme des polymodulaires. Il n’empêche qu’il faut bien traiter ce type de cas. Fillmore proposait une démarche très empirique consistant à poser la forme canonique des verbes de ce type :
[objet,(instrument),(agent)]
et pose comme règle que sur la base de cette forme trois cas sémantiques sont possibles, correspondant aux trois arguments et que l’objet est obligatoire tandis que l’on peut omettre l’agent et l’instrument. Il en induit que si l’agent est absent, le sujet devient l’instrument, et que si l’agent et l’instrument sont absents, le sujet devient alors l’objet. D’une part, il n’y a pas trois cas possibles mais quatre. D’autre part, il faudra bien déterminer sémantiquement qu’elle est l’agent et quel est l’instrument, le sujet syntaxique étant à cet égard sans secours. La solution est probablement à trouver au niveau de l’analyse sémique dès lors qu’un élément inanimé autre que le vent, l’eau ou la lumière et la chaleur du soleil n’est pas susceptible d’une action. Peut-être faut-il voir dans ce phénomène une forme de métonymie si bien décrite par Robert Martin (1992, p. 79-81). Peut-être faut-il également se poser la question de savoir si la pierre qui casse la branche agit seule ou si elle est mue par une force invisible.
On peut observer la parenté entre les cinq voix distinguées par B. Pottier croisées avec les trois statuts et la typologie des énoncés proposée par Cl. Hagège (1982, p. 46) et qui comprend deux grandes catégories sémantiques d’énoncés minimaux : actifs et non actifs, ces derniers comprenant les types sémantiques 1) équatif, 2) attributif, 3) situatif, 4) existentiel, 5) descriptif. Le grand avantage de l’approche de B. Pottier est d’intégrer l’activité dans les voix elles-mêmes sous la forme des statuts évolutif et causatif. Une fois ce point admis, nous n’avons entre ces deux nomenclatures que des différences marginales de frontières, Cl. Hagège méconnaissant le subjectif, alors que pour B. Pottier l’attributif et le descriptif relèvent de la même catégorie dont on a vu qu’elle se subdivisait en trois sous-catégories.
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